Voici en avant-première le tout début de Virages, mon roman numéro 3 de la collection le Phenix Sports Club.
Ce premier chapitre pose les bases de l’histoire et introduit les personnages ainsi que l’intrigue.
Bonne lecture !
CHAPITRE PREMIER
— Mon petit doigt me dit que la chasseuse a repéré sa proie.
À contrecœur, je m’arrache à l’objet de toute mon attention pour adresser un sourire malicieux à Élo. Avec des gestes lents, elle lève son verre de margarita.
— Tu as bon goût, toutefois, je doute que cette fois, tu parviennes à tes fins, ma chérie.
Mon sourire s’élargit.
— En connais-tu une qui me résiste ?
Elle éclate de rire, trempe ses lèvres dans son verre et regarde vers la table où est assise celle qui m’intéresse. Entourée de ses amies, elle sirote tranquillement un cocktail que je devine être un pink lady. Sa robe, élégante et chic, tranche avec l’ambiance légère et décontractée du Frissons. Elle a dû se tromper de boîte, ou de soirée.
— Trop classe pour toi, décrète Élo.
Je ris. Élodie me connaît si bien ! Et pourtant, quelque chose chez elle m’attire irrésistiblement.
— Elle sort de l’ordinaire en effet.
— Et c’est précisément ce qui te plaît, n’est-ce pas ?
Je ne réponds pas. À la place, je fais signe à Paula, la propriétaire du Frissons.
— Qu’est-ce que tu veux, bichette ?
Paula, une Portugaise de cinquante ans, qui tient la seule boîte de nuit lesbienne de la côte, me dévisage avec bienveillance. Grande gueule et protectrice, elle fait partie des quelques personnes que j’apprécie vraiment. Du reste, le Frissons, c’est un peu chez moi. J’y danse, j’y bois, et bien sûr, j’y chasse.
— Prépare-moi un Pink Lady, tu veux ?
— Sophie, s’esclaffe Élodie, rien ne t’arrête, c’est fou !
Paula secoue la tête, avant de s’exécuter. Quand le cocktail est prêt, elle glisse le verre vers moi.
— Élo a raison, ce n’est pas gagné cette fois. Elle fait un peu « coincée coincée ».
Son rire grave résonne au comptoir. Élo ne tarde pas à se joindre à elle. Je me sens aussitôt le devoir de les détromper.
— Observez l’artiste.
Avec assurance, je me lève et saisis le Pink Lady. Deux paires d’yeux s’accrochent à mon dos alors que je m’approche de la table où se trouve la femme que je convoite depuis qu’elle est entrée.
De près, elle est encore plus belle. Les traits fins, une posture impeccable, elle est élégante jusqu’au bout de ses ongles vernis. Séduite, j’observe la façon dont elle porte son verre à ses lèvres, dont elle joue distraitement avec une mèche rebelle, dont elle sourit à ses amies. Cette femme a une classe folle. Qu’est-ce qu’elle fiche dans cette boîte bruyante et moite ? Je compte bien le découvrir.
Avec cette insolence qui me caractérise, je m’invite à sa table et interromps leur conversation.
— Bonsoir tout le monde.
Les trois femmes se taisent immédiatement. L’une d’elles me répond, tout sourire.
— Bonsoir…
Je la regarde à peine. Je ne suis là que pour celle dont le regard vert émeraude accroche le mien. Son rouge à lèvres violet me surprend et m’amuse. Une fille de son standing qui ose ce genre de couleur ? Voilà qui excite un peu plus ma curiosité.
— Je peux vous offrir ce cocktail ?
Il me semble qu’elle rougit, cependant la lumière tamisée dans la boîte me prive de certitudes.
— C’est gentil, mais le mien est encore plein.
Je note qu’effectivement son verre est à peine entamé.
— Peut-être après une danse ?
Ses amies pouffent de rire.
— Bon courage si vous parvenez à la décoller de sa chaise, me murmure l’une d’elles.
Sa réaction est immédiate : elle se braque ; ses beaux yeux virent à l’orage.
— La danse n’est pas mon truc, se justifie-t-elle un peu sèchement. En revanche, c’est celui de Chloé. C’est elle que vous devriez inviter.
Mon attention se porte quelques secondes sur sa voisine, une femme aux cheveux courts peroxydés et aux lèvres pulpeuses. Quand elle plisse les yeux, je me détourne. Elle a indéniablement du charme, mais elle n’est pas mon type, contrairement à son amie. Et plus elle me résiste, plus le défi m’excite.
— Donc, tu ne bois pas et tu ne danses pas. Que fais-tu, alors ?
Son amie Chloé est à deux doigts de recracher sa gorgée de piña colada. Elle, en revanche, ne rit pas.
— Je profite d’un moment de détente en compagnie de mes amies.
La réplique est cinglante. Elle me laisse sonnée, à court de mots. Probablement que je devrais me contenter de lui laisser le verre et m’en aller dignement, mais je sais qu’Élodie et Paula sont à l’affût, et je refuse de leur donner une occasion de se ficher de moi.
— Si tu veux danser… me propose Chloé. Avec Camille tu perds ton temps.
Camille. C’est un joli prénom qui lui va à merveille. Il fait distingué et légèrement hautain.
Je secoue la tête pour décliner, mais elle a déjà repoussé son fauteuil, et, chose étonnante, le regard vert semble tout à coup s’animer. Camille regretterait-elle de ne pas avoir saisi sa chance ? Amusée à l’idée, je tends la main à Chloé.
— D’accord, allons-y.
Un œil du côté du bar me montre Élodie levant sa margarita pour me féliciter. J’ai malgré tout un goût amer dans la bouche : celle que je voulais est demeurée assise et délaisse jusqu’au cocktail que je lui ai offert.
Sur la piste, Chloé se colle contre moi. Je joue le jeu, un moment, l’allume même, mais dès que je repère Camille qui se lève de table pour se rendre aux toilettes, je m’écarte d’elle sans scrupule. Cette fois, elle ne m’échappera pas.
— Excuse-moi, je reviens.
Chloé est interloquée, mais elle se fait vite happer par une autre partenaire. Parfait. Sans un regard en arrière, je la laisse et pars à la poursuite de Camille.
Dans le couloir, deux filles s’embrassent sans gêne. Je les dépasse et pousse la porte des toilettes. Personne. J’en profite pour me regarder dans le miroir. Jean moulant. Top plongeant. Maquillage qui allonge mon regard. Cette version de moi les fait toutes fondre. C’est la Sophie des grands jours, celle qui gagne à tous les coups.
Enfin Camille sort des w.-c.. Elle remarque ma présence, mais fait celle qui m’ignore et se lave les mains. Elles sont belles avec des ongles manucurés, une peau lisse, probablement toute douce… Un frisson me traverse.
— Vous me suivez ?
Sa voix est calme, mais je sens une pointe d’agacement. Je ris. Elle, non. Cette fois, cependant, je ne m’arrête pas à ses airs glacés. Je m’avance, jusqu’à la frôler, plonge mon regard de charmeuse dans le sien et souris avec cette arrogance contre laquelle beaucoup de femmes ont du mal à résister. La plupart finissent par baisser les yeux ou mieux encore, plient les genoux. Elle, elle reste stoïque.
— Peut-être que si danser debout ne t’intéresse pas… le faire à l’horizontale te brancherait davantage ?
Mes yeux s’arrêtent sur ses lèvres que j’ai subitement envie de mordre. D’un geste que je m’efforce de rendre le plus doux possible, je saisis une mèche de ses cheveux et joue avec, exactement comme je l’ai vu faire un peu plus tôt. Un courant m’électrise. Cette fille me fait vraiment de l’effet en tous les cas.
Hélas, elle fait un pas en arrière, et s’essuie les mains avec une précision presque chirurgicale. Sous la lumière artificielle du néon rose, ses ongles brillent. Je la trouve renversante de sensualité.
— Désolée, mais c’est toujours non. Nous sommes sorties entre amies.
Sa voix est neutre, sans émotion. Elle se dresse devant moi comme un mur. Mais les murs, ça se fissure ; il suffit de trouver la faille. Alors, je ne désarme pas.
— Tu peux t’en faire de nouvelles…
Lentement, elle passe à côté de moi et se dirige vers la porte.
— Navrée, vous vous êtes trompée de cible.
Elle me laisse seule avec mon ego bafoué et l’odeur entêtante de son parfum sucré et sensuel. Que puis-je faire maintenant ? Quelle carte abattre ? Celle du fabuleux coup qu’elle manque ? Ou de la grande nageuse à côté de qui elle passe ? Quelque chose dans mon estomac se noue. Grande nageuse… Ce n’est plus un argument valable aujourd’hui. Je ne suis plus vraiment celle que j’étais.
Désabusée, je laisse Camille m’échapper. Alors que je m’apprête à sortir à mon tour, je suis arrêtée par une voix que je ne connais que trop bien.
— Je me disais bien que c’était toi.
Léa. Merde, pas elle ! Instinctivement, je croise les bras.
— Depuis quand viens-tu chasser sur mes terres ?
Elle s’avance, de sa démarche féline et sexy, le corps moulé dans un pantalon de cuir, le ventre à l’air. Les reflets blonds de ses cheveux accrochent la lumière. Trop belle. Trop agaçante.
— J’ignorais que le Frissons t’appartenait.
Elle incline la tête, esquisse un sourire chargé d’ironie.
— Cette vieille butch de Paula n’a pas l’air de vouloir passer la main.
Quelle conne ! Immédiatement, je sors les griffes, prête à défendre mon amie.
— Je ne l’ai pas vue, mais je suis fan de la nana que tu as tenté de brancher. D’une manière générale, je suis fan de toutes celles qui te résistent.
Un rire sarcastique m’échappe.
— Serais-tu jalouse ?
Quand secoue la tête, ses cheveux balaient ses épaules, et secouent les anneaux dorés accrochés à ses oreilles. Malgré moi, je ne peux m’empêcher de penser qu’elle est splendide. Léa est une sexy connasse. Le genre que je ne supporte plus.
— Pas le moins du monde. Je te la laisse, Sophie, si tant est que tu parviennes à tes fins. Mais je doute que tu y arrives. J’ai l’impression que depuis quelque temps, plus rien ne te réussit.
Mon orgueil en prend un coup pour la deuxième fois de la soirée.
— Que ce soit dans les bassins ou en dehors, tu donnes la sensation d’être finie. N’as-tu pas le même ressenti ?
Malgré moi, je serre les poings.
— Tu prends tes rêves pour la réalité, ricané-je.
— Excuse-moi de penser autrement. Tu n’es même plus dans le top 100… On dirait bien que la reine papillon a bu la tasse.
Ses provocations me font monter le rose aux joues. J’étais la reine papillon en effet, c’était mon surnom. Cette nage, je la maîtrisais de bout en bout. 50 mètres. 100 mètres. Je suis encore à ce jour-là détentrice du record de France et pour le 100 mètres, du record du monde. Mais à chaque compétition, je tressaille, persuadée qu’une nageuse brisera ces records, m’effaçant pour toujours de l’histoire de la natation.
— Mais je suis heureuse que tu sois en vie, termine Léa, des accents sincères dans la voix. Ton immaturité et ton esprit de compétition auraient pu te coûter plus cher que des titres.
Son regard perd en ironie. Quand elle me sourit, c’est avec une certaine tendresse. Elle s’aventure même à effleurer mon front de ses lèvres.
— Essaie de ne pas faire n’importe quoi, So.
Puis elle s’écarte et disparaît de ma vue.
Refusant de songer à des événements qui pourraient me heurter trop violemment, je sors des w.c. sans attendre. Dès qu’elle me voit, Élodie vient à ma rencontre. Ses yeux brillent comme si elle avait trop bu.
— Chou blanc ?
Machinalement, je cherche Camille du regard, la trouve à sa table en train de boire son pink lady. Il n’y a que sa copine Chloé qui manque à l’appel. Elle, elle est toujours sur le dancefloor. Déterminée, déprimée surtout, je retrouve la margarita que j’avais abandonnée sur le comptoir du bar, la termine d’une traite et file la rejoindre.
— Te revoilà ? me chauffe-t-elle aussitôt en se déhanchant devant moi.
Mes mains sur ses hanches, je l’attire vers moi et sans penser à rien, l’embrasse fiévreusement. Son ardeur, égale à la mienne, ne laisse planer aucun doute. C’est avec elle sur je terminerai ma soirée.
— Chez toi ou chez moi ?
— Comme tu veux
Avec autorité, je la conduis hors de la boîte, mais ce n’est pas vraiment elle que j’ai en tête. C’est le regard froid de Camille, ce mur que je n’ai pas réussi à fissurer.
— Attends. Mes affaires !
Elle s’arrache à moi et retourne au Frissons. Je n’attends pas, monte dans ma mini, et démarre le moteur. Mon téléphone sonne. Élodie. Je n’ai pas très envie de lui parler en ce moment. Par bonheur, Chloé revient rapidement. Je jette mon téléphone dans la boîte à gant et me mets en route.
Pendant que je roule, elle pose sa main sur ma cuisse.
— Je ne fais pas ça d’habitude, me confie-t-elle en masquant son embarras soudain par un éclat de rire. Ce n’est pas du tout mon genre.
Ouais, c’est ça…
— Tu aurais vu la tête de Camille…
Là, elle m’intéresse. Serait-ce que finalement, la dame de glace a légèrement fondu ? J’espère qu’elle le regrettera. Oh oui, je vais tout faire pour marquer l’esprit de Chloé. Je suis persuadée qu’elle est du genre à faire des comptes-rendus de ses parties de jambes en l’air. Tant mieux. Sa copine s’en mordra les doigts de m’avoir si froidement repoussée ce soir.
— Elle ne saura jamais ce qu’elle a perdu, sifflé-je entre mes dents.
Chloé glousse d’impatience. Sa paume chauffe ma peau à travers mon jean, et affole mes sens. J’ai brusquement très envie de me perdre dans ces plaisirs qui me font oublier tant de choses. La reine papillon a bu la tasse. La remarque de Léa ne passe pas. Elle me heurte durement, rebondit dans mon cerveau, dans mon cœur et jusque dans mon estomac qui se noue, se contracte, relâche de l’amertume. De quel droit se permet-elle de me faire ce genre de réflexion ? Que je sache elle a beau essayer, elle n’arrive toujours pas à effacer mes records ! Ça doit la rendre dingue d’ailleurs, de n’être toujours que deuxième. Dans toutes les épreuves où nous avons été l’une contre l’autre, je l’ai battue. Léa pouvait tenter ce qu’elle voulait, au final, c’était toujours moi qui explosais les chronos, et touchais le mur la première. Aujourd’hui que je suis retirée de la compétition, elle ne fait toujours pas mieux. J’imagine sa frustration, son dégoût même. Si elle savait à quel point moi aussi j’ai les boules. Que me reste-t-il de tous mes sacres maintenant ? De toutes ces années où je n’ai vécu que pour la natation ? Plus rien hormis ces cicatrices sur mon corps et ces autres, beaucoup plus profondes et marquantes, dans mon esprit.
— Est-ce que ça va ?
La voix me tire de mes songes. Peu à peu, je reprends pied dans le présent où je me trouve en compagnie, d’une inconnue qui n’attend qu’une chose de moi, et ce n’est pas lui conter mes exploits sportifs.
— Très bien, formulé-je sur un ton mal assuré.
J’appuie sur l’accélérateur, direction la Promenade des Anglais et mon appartement. Je descends la voiture au parking souterrain, le visage fermé, le sang bouillant. Tellement de souvenirs me mettent en rage que je n’arrive plus à parler. À peine sommes-nous descendues que je plaque Chloé sans ménagement contre la portière passager et colle ma bouche contre la sienne. Elle aurait pu me repousser ; elle se comporte au contraire comme une femme avide, impatiente, sans aucune pudeur. Sa main glisse entre mes jambes, son pouce appuie sur mon sexe. Elle sait s’y prendre pour me faire oublier tout le reste. Sans réfléchir, je presse mon genou haut entre ses cuisses tandis que ma langue virevolte dans sa bouche. Notre baiser est long, sensuel, mouillé. Il exacerbe son désir, et me donne affreusement chaud.
— Prends-moi ici, maintenant, souffle Chloé en se frottant contre mon genou.
Sa soudaine sensualité me fait perdre pied. D’un geste précis et sec, j’ouvre sa braguette et caresse le tissu de son slip. Elle gémit plus fort, la tête renversée en arrière. Me pressant alors contre elle, je déboutonne son pantalon et glisse ma main dans sa culotte, découvrant son intimité brûlante et trempée. Tandis que ma langue parcourt sa gorge, je la pénètre durement. Ses cris résonnent dans le parking désert. Je mordille sa peau fine, alors que mes doigts la fouillent, la font haleter. Soudain ses cuisses se raidissent et elle jouit fort sur mes doigts. Un grondement s’échappe du fond de sa gorge que je continue à mordiller.
— Putain, soupire-t-elle.
Elle finit par se redresser et planter ses yeux brillants, lascifs dans les miens.
— Je sens que nous allons bien nous amuser.
Je ne dis rien. Ce n’était pas vraiment le désir qui m’anime ce soir, c’est la colère. Contre moi, contre Camille, et contre Léa.
à suivre…